Ma fille, Misha, si tu étais née quelques années plus tôt, je t’aurais accompagnée différemment. J’aurais été fière de t’asseoir très vite dans des coussins pour que tu puisses jouer. Puis je t’aurais fait marcher en te donner mes mains comme appuis. Et si ça se trouve, je t’aurais peut être même acheté un trotteur pour que tu puisses te déplacer seule. Tout ça, je l’aurais fait en pensait bien faire! Et puis, j’ai découvert la motricité libre.
Mais heureusement pour toi, il y a maintenant 5 ans, j’ai commencé ma formation d’EJE. Trois lettres qui pour les non professionnels de la petite enfance n’ont pas beaucoup de sens. EJE comme Educatrice de Jeunes Enfants. J’ai donc suivi cette formation qui me donnait tant envie depuis mes années collège. J’y ai découvert énormément de choses. J’ai pu faire des stages ( 5 je crois dont un de quasiment 9 mois!) dans différentes structures petite enfance. Des stages tous très différents les uns des autres, certains où je ne me suis pas sentie très bien et d’autres qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui.
Lors d’un stage dans une chouette halte-garderie (celle où Raphaël a été et ou Aëlia va), j’ai pu observer une petite fille. Elle avait 10 mois et était allongée dans l’espace pour les plus petits. Elle s’est tournée sur le côté pour attraper un jouet puis est revenue sur le dos pour l’observer et le manipuler. En roulant et marchant à quatre pattes, elle a été chercher un jeu plus loin. Un peu plus tard, elle s’est assise pour regarder les plus grands dehors. Rien d’extraordinaire en soi, mais l’observation de cette petite fille m’a fait l’effet d’une danse. Elle était tellement à l’aise dans ces mouvements, capable de se déplacer et d’aller chercher ce qui l’intéressait seule… « Cette chose » m’a impressionnée, j’en ai parlé avec les professionnelles et « cette chose’ était ce qu’elles appelaient la motricité libre.
Elles m’ont expliquée que cette petite fille était en motricité libre à la crèche et aussi et surtout chez elle.
Oui, mais la motricité libre qu’est ce que c’est? Ca a été mis en évidence par E.Pikler (pédiatre hongroise) suite à des observations qu’elle a pu faire. L’enfant n’a pas besoin de l’intervention de l’adulte pour découvrir toutes les postures/étapes moteurs de son développement. C’est à dire qu’il est capable de découvrir seul les choses lorsqu’il est dans un environnement adapté. Elle a donc pris le parti de ne pas mettre les enfants dans des positions dans lesquelles ils n’arrivent pas à s’y mettre seule.
C’est donc lorsque j’ai fait cette découverte que ma façon d’accompagner les enfants a complètement changé. Et j’ai trouvé ça tellement bien et important dans le développement global des enfants que j’en ai fait le thème de mon mémoire d’EJE. Et aujourd’hui je suis maman et pour toi Misha, ma fille, je souhaite d’accompagner dans la vie dans la façon qui me semble le mieux pour toi.
J’ai déjà beaucoup de chance, ton Papa a aussi compris les bienfaits de t’accompagner en motricité libre et pour moi c’était très important d’être en accord et en cohérence dans cet accompagnement.
Depuis que tu es née, nous ne t’avons jamais assise, calée dans des coussins ou autre système tout simplement parce que tu ne sais pas encore t’asseoir toute seule. Ton corps, tes muscles et ton système nerveux n’ont pas encore la maturité nécessaire pour te maintenir assise. Avant de pouvoir y arriver, nous t’installons sur le dos sur ton tapis de jeu. Ainsi, tu découvres petit à petit tes mains, tes jambes, tes pieds puis les jeux qui t’entourent. Tu bouges ton corps tout en restant sur le dos, tes jambes vont se muscler petit à petit et ta musculature va se renforcer.
A force d’expérience et d’essais, tu as réussi à te retourner sur le dos. Et quel plaisir tu as pris d’y parvenir seule! Lorsque tu t’en es sentie capable, tu as pu te retourner. N’est-ce pas gratifiant d’y parvenir seule? Tu as acquis la confiance en toi nécessaire pour y arriver. Y’a un petit bémol normal dans ton développement. Nous sommes obligés d’intervenir pour te remettre de temps en temps sur le dos. Tu n’as pas encore découvert comme y retourner et tu fatigues parfois lorsque tu dois maintenir ta tête lorsque tu es sur le ventre. Mais nous sommes là, nous t’accompagnons par la parole et les gestes pour te montrer comment repasser sur le dos.
Si l’on t’avait calé dans des coussins, tout ton corps se raidirait pour essayer de maintenir cette position. Ton buste se contracterait et tu serais concentré pour ne pas tomber. Et si par malheur tu n’y arriverais pas, tu tomberais d’un coup en arrière ou sur tes pieds. Et alors? Alors, cela pourrait te faire peur et te donner un sentiment d’insécurité et d’inconfort. Et une fois tombée, tu aurais besoin de quelqu’un pour te relever et te recaler.
Peut être qu’au bout d’un moment tu arriverais à « tenir » assise mais tu y serais bien coincée aussi. Quand le jeu tombera de ta main, tu ne seras pas capable d’aller le chercher. Quand tu voudras changer de position, tu ne pourras pas le faire, tu seras obligée de pleurer et d’appeler quelqu’un pour t’y sortir, te mettant dans une position de dépendance à l’adulte.
Tu n’iras jamais dans un trotteur ou autre système dans ce genre. Déjà parce que si l’enfant ne marche pas, c’est qu’il n’en est pas capable, sa musculature n’y est pas prête. Mais aussi parce que ça te donnerait une image faussée de ton corps. Marcher avec un périmètre tout autour de toi ne va pas t’aider à construire l’image de ton corps. C’est comme si on mettait à un adulte une paire de chaussure bien plus grande que ces pieds. Cela changerait toute l’image qu’il a de son corps, il se prendrait régulièrement les pieds partout (cela m’arrive quand j’ai des chaussures qui ont une forme différente, j’ai tendance à me prendre les pieds partout avant d’arriver à me représenter mon corps différemment . Un petit enfant n’a pas encore acquis tout son schéma corporel et le trotteur le apporte des informations erronées pouvant ensuite le mettre en danger.
J’aime te laisser le temps de découvrir chaque posture à ton rythme. En effet, tu as 7 mois et tu ne tiens pas assise seule (en fait je n’en sais rien puisque je n’ai jamais essayé), tu es peut être « en retard » pour certains mais tu as confiance dans ce que tu fais. Je préféré te laisser faire quand tu en seras capable et que tu en auras envie, ça ne sera que bénéfique pour toi!
Petit à petit, tu vas trouver comment ramper, en commençant surement à reculer. Lorsque tes appuis seront plus stables, tu pourras te porter et t’essayer aux quatre pattes. Puis tu découvriras comment t’asseoir mais aussi comment sortir de cette position. Puis viendra le passage à la station verticale. Tu apprendras à te relever en t’aidant des meubles. Et quand toi, et seulement toi, te sentiras prête et que tu auras trouvé tous tes appuis nécessaires, tu pourras marcher.
Toutes ces étapes se feront petit à petit mais surtout à ton rythme à toi!! Lorsque tes expériences te donneront assez confiance en toi, tu les maîtriseras Tu vas ainsi acquérir une confiance en toi et en tes compétences. Tu n’auras pas besoin de l’adulte pour marcher. Mais je serais toujours là pour toi, en te proposant des situations t’offrant un contexte adapté à tes compétences, avec un regard bienveillant et des paroles qui t’encourageront.
Le résultat sera le même au final, tu marcheras un jour, comme « tout le monde ». Mais je préfére te laisser prendre ton temps en te donnant ainsi la possibilité, dès ton plus jeune âge, d’être active dans ta vie, dans ce que tu entreprends. J’ai envie de te laisser cette chance, j’ai envie de te montrer que j’ai confiance en toi, de te montrer que tu es capable de faire les choses par toi-même, de te montrer que tu n’as pas nécessairement besoin de l’adulte, de te montrer que tu peux être autonome et moteur dans ta vie, de te pousser à trouver toi même les solutions lorsque tu te sens bloquée, de te montrer que tu as déjà beaucoup de compétences, te permettre de mieux connaitre ton corps et tes limites. Et tout cela aujourd’hui mais aussi et surtout dans toute ta vie, dans tout ce que tu entreprendras.
Misha, ma fille, tu n’as peut être que 7 mois mais tu es capable de beaucoup de choses. Je crois en toi et en ce que tu entreprends. J’espère pouvoir te permettre de prendre confiance en toi. C’est quelque chose de vraiment important dans nos vies (et je sais de quoi je parle, j’en manque drôlement).
Misha en janvier qui apprenait à se retourner
Et vous qui me lisez (et qui avez eu le courage de lire tout jusqu’ici -merci-), j’avais envie de vous parler la motricité libre parce que je trouve que c’est quelque chose qui est tellement important et adapté dans l’accompagnement de nos petits bouts. Je regrette que ce ne soit pas plus connu. Vous l’aurez compris (ou pas), mais c’est vraiment quelque chose qui me tient à coeur. C’est ce me parait le plus adapté pour les enfants, c’était d’ailleurs le thème de mon mémoire d’EJE.
Enfin, c’est mon avis personnel (enfin, partagé par d’autres professionnelles/parents) et basé principalement sur les travaux d’E. Pikler.