C’est le genre d’histoire que l’on n’oserait même pas imaginer, le genre d’histoire qui fait froid dans le dos et qui nous parait improbable. Mais c’est une histoire qui m’est arrivé, à ma petite sœur, mon petit neveu et moi. Je ne pensais pas en parler un jour ici et pourtant depuis hier j’y pense. Avec l’accord de mes sœurs (qui ont aussi été concernées par cette histoire), j’ai envie de partager ce que nous avons vécu : le jour où nous avons croisé un pédophile.
Et pourquoi le faire aujourd’hui ? Parce qu’avant-hier, sur Instagram, il y a eu beaucoup d’agitation. Un compte pédopornographique a été « trouvé » et tout le monde partageait son nom pour qu’on puisse tous le signaler. J’ai été pour le faire. Et là, je suis tombée de haut, très haut! La pédophilie, je « connais », j’en ai entendu parler comme tout le monde, j’y ai été confrontée, mais là, «j’ai vu » et j’ai vraiment eu envie de vomir. J’ai découvert des photos abominables dont je n’arrive pas à me défaire. Ces photos m’ont bouleversée…
Et cette histoire m’a renvoyé celle qui nous était arrivée (même si ce n’est pas du tout comparable).
Il y a bientôt 8 ans, j’avais 22 ans et ma petite sœur avait 17 ans et demi (et était donc mineure). Nous gardions mon neveu de 2 ans et demi et pour lui faire plaisir nous l’avions amené à la piscine municipale de notre ville.
Une fois notre baignade finie, nous sommes allés nous laver dans les douches. Au début, on voulait aller dans une des douches fermées pour pouvoir bien se laver tranquillement, mais un monsieur était dedans, la porte ouverte et nous regardait comme s’il attendait quelqu’un. On s’est donc lavé vite fait et nous sommes allés dans la cabine « familiale » (un peu plus grande que les autres) pour pouvoir se changer tranquillement avec notre neveu. Pendant que je sèche et habille mon petit neveu, ma petite sœur s’est aussi habillée. Nous étions la dernière cabine et donc nous n’avions qu’une seule cabine accolée à la nôtre.
Dès le début, on est interpellé par un gel douche qui était entre nos deux cabines, comme s’il était tombé ou posé contre une serviette le temps que la personne se change. Je m’en souviens encore très bien, c’était un gel douche rouge P’tit Dop. Dès le début il m’a interpellé et ma petite sœur aussi, régulièrement je le regardais pour voir ce qui me faisait bizarre sans trouver. Je me dépêche d’habiller mon neveu parce qu’il fait assez frais et il a envie de faire pipi. Mais ce gel douche, plus gros que normalement attire tout le temps notre attention.
D’un coup ma petite sœur me dit « on dirait qu’il y a un appareil photo dans le gel douche », on regarde de plus près et ma sœur se penche pour regarder les pieds de la personne de la cabine d’accoter. Des pieds d’homme, d’adulte seul. On re-regarde de plus prêt, plus de doute, le gel douche est trafiqué et on voit bien un objectif dans un petit trou et du scotch tout autour pour refermer le gel douche. Je crois que là, on a eu très peur.
Ma petite sœur a donné un coup de pied dans le gel douche pour le renvoyer dans sa cabine, elle se met à insulter le gars (oui Salomé, ma petite sœur est très forte pour « gueuler et dire des insultes » 😉 ) et dire tout haut « de toute façon, on va prévenir la police ». Mais on est là, dans la cabine, ma petite sœur et mon neveu habillés et moi dans ma serviette encore en maillot mouillé. On est dans un mélange d’émotion : la peur, l’énervement, le doute (a-t-on réellement bien vu ?) et on ne sait pas/plus quoi faire.
Dans l’immédiat, ma petite sœur accompagne mon neveu aux toilettes (à son âge et après avoir bu un peu la tasse, on n’est pas capable de se retenir longtemps) et moi, je m’habille en vitesse. En sortant de la cabine, ma sœur a vu le visage du monsieur d’à côté, vite fait puisqu’il a sorti sa tête très vite. Quand elle revient des toilettes, ce sont deux nouvelles personnes à côté.
On sort donc des cabines et on se dirige vers la sortie, ne sachant toujours pas quoi faire. Et surtout, on ne sait pas si on a vraiment bien vu, cela paraît tellement improbable !
On décide d’aller en parler à la personne à l’accueil. Une dame qui lorsqu’on lui dit que l’on croit que l’on a été filmé dans les vestiaires nous répond « Vous êtes sûres ? Ça m’étonnerait ». Bah non, on est sûr de rien et le fait de ne pas être prise au sérieux fait que l’on est encore plus sûre de rien. On se sent presque con du coup et aussi dégoûtées de ne pas avoir été entendues à ce moment-là. Alors que nous devions rentrer à pied, on demande à notre mère de venir nous chercher. Une fois arrivée, on lui explique ce qui nous est arrivé. Elle nous dit qu’il faut que l’on retourne à l’accueil en parler, mais on lui explique que l’on ne nous a pas « entendues ».
Accompagnées de notre mère, nous retournons à la piscine et elle demande à parler « au chef » de la piscine. On lui raconte notre histoire. Il nous croit et nous prend au sérieux. On lui décrit l’homme en question. Cet homme, le même que nous trouvions bizarre dans les douches, celui qui « avait l’air d’attendre quelqu’un ». Et notre description lui parle. Il nous dit qu’il y a un homme bizarre qui vient tous les jeudis et qu’ils ont déjà repéré. Il vient, se baigne très peu et observe beaucoup, c’est ce qui les avait interpellées. On se met d’accord sur le fait que l’on va aller porter plainte et lui est prêt à témoigner si besoin et surtout à surveiller s’il revient.
Le soir même, j’ai baby-sitting et il est un peu tard, c’est donc le lendemain soir que nous allons porter plainte. Toute la nuit, j’ai cette histoire qui me travaille, toute la nuit, j’y repense. Mais n’a-t-on pas rêvé, je me le demande souvent. Et puis s’il nous a vraiment filmées/photographiées que va-t-il en faire ? Va-t-on être sur Internet où je ne sais où, mais rien qu’à son usage personnel ça me donne la gerbe ?
Nous sommes donc allés porter-plainte le lendemain. C’est principalement ma plainte qui est retenue puisque ma sœur et mon neveu sont mineurs. L’infraction retenue est « atteinte à la vie privée ». Notre déposition est prise avec beaucoup de sérieux et cela fait du bien de se sentir reconnu. Ils disent qu’ils vont faire leur enquête et que l’on doit rester joignable, surtout que nous l’avons vu et nous pouvons donc l’identifier.
Une semaine et un jour plus tard, le commissariat m’appelle. Ils ont interpellé quelqu’un et me demandent de venir l’identifier. Je me croirais presque dans une série policière française de télé. Vais-je me retrouver derrière une vitre sans tain avec des hommes et une pancarte dans les mains contre un mur blanc et des rayures noires pour marquer la taille ? Et si je me trompe ? Et si je crois le reconnaître et que ce n’est pas lui ? Une fois de plus, j’ai la boule au ventre et j’ai envie de vomir.
Au commissariat, on m’invite à regarder à travers une porte avec une glace sans tain, il est là, c’est lui pas de doute (mais je doute quand même, je ne voudrais pas accuser quelqu’un qui n’a rien fait.). Une fois que je l’ai vu, on me ramène dans un bureau et après avoir confirmé, ils me disent qu’il a déjà tout avoué.
J’apprends que ce malade et pédophile est retourné à la piscine la semaine suivante. Pas le jeudi comme d’habitude, mais le vendredi. La piscine a tout de suite appelé la police (et j’ai d’ailleurs vraiment apprécié leur soutien et leur vraie aide dans cette enquête.). La police l’a donc interpellé, il était avec un sac et dans ce sac, il y avait le gel douche et l’appareil photo dedans. A ce moment-là, c’est tout ce que nous avons appris. Mais nous sommes soulagées. Soulagées qu’il ait été retrouvé, soulagées d’avoir été prises au sérieux, soulagées qu’il ne puisse pas (enfin, on l’espère) recommencer.
Mais il habite la même commune que nous. J’ai peur de le recroiser et si je le recroise, qu’est ce que je lui dirais, comment réagirais-je ?
Six longs mois plus tard, nous recevons un « avis à victime » pour nous dire que l’affaire avec Mr R. pour faits de « atteinte à l’intimité de la vie privée par fixation d’image d’une personne » sera jugée à l’audience du tribunal Correctionnel de Nantes.
J’y suis allée, c’était important pour moi d’essayer de comprendre et surtout de voir ce que ce malade/pédophile allait avoir comme « peine ». Mon père et ma petite sœur étaient avec moi. Il y avait plusieurs procès avant nous, allant de celui qui avait fumé du shit à des histoires d’incestes pour lesquelles nous sommes sorties de la salle. J’étais stressée…
Puis est venu notre tour où plutôt le procès de Mr R. Nous avons été appelé à venir témoigner. Ma petite sœur a parlé assez posément, mais moi, j’ai craqué et je me suis mise à pleurer comme une conne. Cette histoire m’avait vraiment touchée et pourtant ma petite soeur me chariait souvent en me disant « bah ça va, toi tu étais en maillot de bain, c’est pas toi qui t’es faite filmée pendant que tu te déshabillais -puisque je m’occupais de notre petit neveu-. Ce n’était peut être pas moi directement, mais c’était nous, mon neveu si petit, ma petite soeur (et tous les enfants victimes de pédophilie).
Après, je me souviens de quelques brides de ce qui c’est dit. Il s’est vaguement excusé, a expliqué qu’il avait entrepris de suivre une thérapie avec sa femme (sa femme est psychothérapeute ou un truc dans le genre.). Je n’ai jamais compris s’ils allaient voir quelqu’un ensemble ou s’il nous expliquait qu’il suivait une thérapie avec sa femme comme professionnelle, si oui c’est juste aberrant et n’importe quoi! Il a dit qu’il n’était pas bien à ce moment-là et allait mieux, qu’il avait arrêté…
Je me souviens aussi qu’il avait été interpellé avec la caméra/appareil photo avec son gel douche trafiqué, mais aussi des magazines porno dans son sac. Qu’il avait dit avoir tout effacé aussitôt par peur. Son disque-dur lui avait été pris. Il a aussi dit que ce n’était pas la première fois, qu’il allait aussi parfois dans une autre piscine…
Cette envie de vomir, ces hauts-le cœur durant tout le jugement et ce manque de réponse ont été longtemps présents pour moi.
Je n’ai jamais osé demander s’il était pédophile ou s’il cherchait « juste » des jeunes femmes. J’étais dégoûtée parce que nous avions appris qu’il avait des enfants de notre âge…
Et puis le jugement est tombé un peu plus tard. Nous n’avions pas souhaité demander de l’argent (que faire avec de l’argent d’un malade/pédophile ? On avait juste envie de couper les ponts), on voulait juste que la justice le condamne. Au final, il s’en est sorti avec une interdiction de retourner aux piscines, un extrait dans son casier (numéro 3, je pense) pour dire qu’il n’avait pas le droit de travailler auprès d’enfants, un « conseil « de se faire soigner » et un sursis.
Je ne sais pas si j’en suis satisfaite. Je crois que c’est un peu léger pour régler le fond du problème. Faire une thérapie avec sa femme, c’est n’importe quoi… et pas très éthique au passage. J’aurais voulu quelque chose de plus « fort » quelque chose qui le marquera vraiment et surtout qui l’empêche de pouvoir refaire quelque chose !
C’est une histoire que je ne raconte pas ou très rarement. Déjà, parce que ce n’est pas quelque chose que l’on glisse dans une conversation, mais peut être aussi parce que j’ai comme un sentiment de honte, de gêne. Et là, je me demande : honte de quoi ? D’avoir été la proie d’un pédophile, d’avoir été la victime ? C’est terrible parce que même si notre histoire ce n’est « rien », je trouve ça dingue de pouvoir en avoir honte. J’ai souvent entendu que les victimes sexuelles/de pédophiles/de viols se sentaient honteuses, mais ce n’est pas à nous de nous sentir honteuse…
Je ne sais pas où je veux en venir vraiment, mon article est décousu. Je n’arrive pas à comprendre et à admettre que cela soit possible, mais le fait d’avoir été confronté directement m’a rappelée à quel point cela pouvait être vrai, qu’ils existaient vraiment et pouvaient être partout. Et puis les comptes découverts sur Instagram, j’ai pu découvrir le site du gouvernement pour pouvoir faire facilement et rapidement un signalement. Ça se trouve ici et je trouve ça important de le savoir.
Et puis je me demande comment s’en protéger, comment en parler aux enfants pour les sensibiliser sans les inquiéter, comment réagir face à ces situations et comment cela est-il possible??….
Je ne sais même pas s’il y a des réponses… Et puis je n’ai pas envie d’y penser tout le temps, j’ai envie de pouvoir continuer à vivre en toute légèreté. Est-ce possible d’y arriver ?
Un article un peu décousu que j’ai envie de finir avec un livre. Ce livre, je suis tombée dessus par hasard à la médiathèque: « Les interdits des petits et des grands! » de Pittau et Gervais. En résumé, c’est un livre qui reprend les interdits simples des enfants pour en arriver aux interdits des adultes sur les enfants : « les enfants font des bêtises par ignorance. Certains adultes profitent de l’ignorance des enfants. Savoir, c’est combattre l’ignorance ». Vous pouvez le découvrir ici.. Mais j’ai aimé les illustrations stylisées de choses graves comme la pédophilie, une façon de pouvoir l’aborder facilement. Je tacherais de le prendre en photo la prochaine fois que je retourne à la médiathèque.
