« Dans la vie, au début on naît, à la fin on meurt. Entre les deux il se passe des trucs » -phrase piquée à Bref-. Aujourd’hui, je ne vais pas parler de naissance, ni de mort, mais des trucs qui se passent entre les deux.
Je les ai laissé il y a tout juste un an. Pendant presque un an, je suis allée les vendredis matin chez mes grands-parents pour accompagner mon grand-père faire leurs courses. Mes grands-parents, je ne les appelle pas Papy et Mamy comme tout le monde. Je n’y arrive pas et quand je le fais, ce n’est pas naturellement. Je les appelle par leurs prénoms Abel et Geneviève. Depuis toute petite déjà, il parait que c’est moi qui ait commencé à appeler mon grand-père par son prénom. Je ne m’en souviens pas. Ça fait toujours bizarre à certaines personnes que je les appelle par leurs prénoms, moi pas. J’appelle aussi mes parents par leur prénoms: Fred et Freddy, d’ailleurs, ce ne sont pas leurs prénoms puisqu’ils s’appellent, en vérité, Frédéric et Frédérique.
Pour en revenir à mes grands-parents, le vendredi matin, j’allais chez eux vers 8h30/9h00. Je retrouvais Geneviève, dans sa cuisine qui me donnait la liste et les consignes. La liste était toujours précise « 2 paquets de 2 tranches de jambon herta cuit à l’étouffé » (non, il ne fallait pas prendre celui sans sel « qui n’est pas bon », ni un paquet de 4 tranches). Elle savait ce qu’elle voulait, précisément. Geneviève ne pouvait plus sortir de chez elle, incapable de descendre les marches qui menaient à l’escalier ni marcher ensuite. Mais elle connaissait tout et avait bien toute sa tête. Sa liste précise était même écrite dans l’ordre des rayons (et pourtant, cela faisait combien d’années qu’elle n’avait pas pu aller au Géant?), mais ce qu’elle ne savait pas, c’est que l’entrée par le rayon frais n’existait plus, on commençait donc toujours les courses parce qu’il y avait écrit en bas! Elle me découpait les références sur les paquets en carton pour que je voie et comprenne bien ce qu’il fallait acheter. Abel avait aussi sa liste de course, écrite sur le dos d’un bout de carton d’un de ses paquets de céréales. Les listes étaient identiques, mais chacun avait écrit la sienne.
Pendant ce temps, Abel qui finissait de se préparer, il enfilait une paire de chaussure, une veste et toujours une casquette. Dans la poche de sa chemise y trônait un stylo et autour de son coup, avec un cordon de pub violet son téléphone portable.
Au moment de partir, Geneviève s’assurait qu’Abel avait assez de sac dans sa voiture, qu’il avait bien pris sa carte bancaire (et me redemandait si je connaissais bien le numéro), qu’il avait les clés du garage, son téléphone et qu’il était assez couvert. Elle s’assurait aussi que ce soit moi qui conduise la voiture.
Et voilà, nous partions tous les deux pour un peu plus d’une heure de courses, faite à un rythme tout doux. C’était la sortie de la journée d’Abel et sûrement aussi une sortie qu’il attendait toute la semaine. Sur le chemin jusqu’au garage, il prenait de mes nouvelles, de celle de ma famille: « Et ton père, ça se passe bien le travail? »… mon père était en arrêt longue maladie (et définitif) depuis au moins 4 ans. Arrivée au garage, je sortais la voiture, il fermait le garage et nous allions au Géant.
Sur le parking, j’avais compris qu’il était important pour lui de se garer toujours vers le même endroit. Il allait chercher avec son jeton le caddie et le pousser le long des courses. Nous faisions les courses tout doucement, je le laissais chercher sur sa liste ce qu’il fallait acheter, réfléchir dans quel rayon ça se trouvait. Je faisais aussi ma blonde arrivée devant le rayon, faisant mine de ne pas trouver LE beurre « Elle et vire je ne sais plus combien de matière grasse, mais il ne fallait pas se tromper ». Le beurre était toujours au même endroit, mais il mettait toujours du temps à le trouver. Je le laissais donc chercher et réfléchir pour que les courses durent plus longtemps parce qu’il appréciait ça et n’aimait pas être brusqué. Au rayon fromage, nous allions voir la fromagère (zut, je ne me souviens plus de son prénom, mais quand il parlait d’elle, il l’appelait toujours par son prénom. Nicole peut être?). Il prenait de ses nouvelles, se plaignait parfois gentillement de son absence la semaine précédente. Il me présentait aussi fièrement, racontant souvent une petite anecdote de moi lorsque j’étais petite.
Durant les courses, il avait des moments où il était un peu moins cohérent ou surprenant (« kiwi? c’est quoi déjà…?? ah oui, le truc marron avec du vert à l’intérieur »). J’aimais ces petites blagues qu’il faisait. A la fin des courses, nous avions beau avoir pris notre temps, c’était trop court pour lui. Alors, il vérifiait sa liste de courses plusieurs fois, relisant ce qu’il avait déjà barré au fur et à mesure, vérifiant que tout était bien dans le caddie, réfléchissant sur ce qu’il avait écrit. Je le laissais faire, c’était sa manière de faire durer les choses. A chaque fin de courses, il disait « oh, je voulais acheter quelque chose, mais je ne sais plus c’est quoi », et nous arpentions à nouveau les rayons à la recherche de rien du tout, juste du temps passé à deux hors de chez lui. Au moment de payer, il cherchait toujours sa carte bancaire, faisant toutes ses poches avant de remettre la main dessus.
Puis, nous nous arrêtions toujours à Paul pour acheter une gourmandise, un croissant ou pain au chocolat. Une petite douceur pour lui et/ou Geneviève et/ou Catherine et moi. Et nous repartions chez lui. On rangeait la voiture au garage et apportions les courses à Geneviève. Je m’assurais de ne pas m’être trompée pour telle ou telle chose, m’excusant de ne pas avoir pu ramener une autre à cause d’une rupture de stock…
Je ne l’aidais pas à ranger ses courses, elle préférait les ranger seule, à son rythme. Avant de partir, j’avais toujours le droit à un chèque. Celui-ci me mettait très mal à l’aise et me gênait. Non, je n’accompagnais pas mon grand-père faire ses courses pour de l’argent. C’était pour moi une sortie que j’attendais tout autant que lui. Les jeudis soir, je me couchais contente de savoir que j’allais le retrouver le lendemain. Pour moi, c’était un moment à nous deux, où je re-découvrais mon grand-père après 14 ans où nous ne nous voyions que très peu puisque nous avions déménagé. Nous tissions une nouvelle relation, je découvrais mon grand-père avec qui j’avais passé beaucoup de temps étant petite. Mais ma grand-mère insistait pour me donner ce chèque. Je finissais par l’accepter, c’était comme ça qu’elle fonctionnait, c’était sa manière de me remercier. Je m’en allais ensuite chez moi, leur disant « à la semaine prochaine ».
J’ai ainsi fait les courses avec Abel pendant presque un an, le temps de mon stage de dernière année d’EJE. J’ai vraiment aimé passer du temps avec lui. Mon stage s’est fini, j’ai du retourner à l’école, à Nantes. Lorsque je retournais sur Tours, je me proposais pour l’accompagner faire ses courses. Et puis Juju a changé de travail, revenant à nouveau sur Nantes. Nous avons donc déménagé et j’ai complètement arrêté de faire les courses.
Depuis, je suis retournée qu’une seule fois sur Tours, en janvier dernier pour leur annoncer que j’étais enceinte. J’étais fière et contente et je souhaitais leur annoncer de vive voix. J’avais aussi prévu d’aller leur présenter mon Bébé, Misha lorsqu’elle serait née, sûrement en août je m’étais dit.
Seulement voilà, les choses ne se passent pas toujours comme on le souhaite ou comme on l’imagine. En juin/juillet, les choses se sont accélérées et ont tout changé. Mes grands-parents ne sont plus tout jeune, ma grand-mère a eu des problèmes de santé et a été hospitalisée.
Mon grand-père a aussi dû être pris en charge. En étant seul, il s’est retrouvé désorienté, perdant son repère, sa routine et laissant une place grandissante à « son Alzheimer ». Il erre donc d’hôpital en maison de repos, du service psy, urgences…
Lui qui était si gentil, si doux et si calme se retrouve à avoir des excès de violences qu’il ne peut contenir, des moments où il n’arrive pas à être apaisé. Les médicaments l’aident à être moins angoissé. En un an, « son Alzheimer » l’a envahit, de plus en plus présent, allant jusqu’à méconnaître, entre autre, son fils -mon père-. Il n’a pas complètement tout oublié, tout perdu, ses souvenirs les plus anciens sont encore présents. Cela me rappelle mes cours de master de psycho très intéressants sur la mémoire et les différentes formes de mémoire et de pertes de mémoire. Quand mon père lui a dit que j’avais accouché, il n’en revenait pas. Ses souvenirs qu’il a de moi datent de quand j’étais toute petite, alors imaginer que je suis aujourd’hui maman est bien compliqué.
Ma grand-mère a toujours dit qu’elle avait » de quoi mourir » et qu’elle restait là que pour mon grand-père. Elle qui a toute sa tête (ou en tout cas, une très grande partie) mais qui est bloquée par ce corps qui ne lui permet pas de faire tout ce qu’elle souhaite se retrouve dans un endroit qui n’est pas chez elle. Fini le minimum de confort, les repas de choses qu’elle aime, son quotidien, sa routine. Là voilà dans un lieu où on lui sert à manger suivant son régime (sans sel, sucre et autres choses qui dans notre quotidien nous paraissaient évidentes), où elle s’ennuie aussi terriblement. Elle regrette de ne pas « être partie » avant, de ne pas avoir pris ses médicaments. Mais jusqu’à présent, mon grand-père disait que la vie lui plaisait, que lui n’avait pas envie de mourir, il était bien, tout simplement.
J’aimerai aller les voir, mais je n’ose pas. Déjà parce que mon père (qui a fait les allers-retours dans la journée tout cet été) m’a dit que ce n’était pas le moment, que je devais attendre encore un peu. Mais attendre quoi? Qu’ils soient à nouveau ensemble? Qu’ils aillent mieux? Que Geneviève veuille bien que je vienne? Je crois que rien de tout ça n’est prêt à arriver.
J’avais tellement envie de leur présenter Misha mais aussi envie de présenter mes grands-parents à Misha. Même si ce n’est qu’un bébé, c’est important pour moi qu’elle les rencontre, que je puisse lui en reparler plus tard aussi. J’ai de bons souvenirs avec mes arrières-grands-parents. Pour le moment ce n’est pas possible… J’attends, je patiente… j’espère que cela va être possible. Mais de toute façon, je lui en parlerais, je lui montrerais des photos (je crois que je n’ai qu’une photo de ma grand-mère, elle refuse toujours qu’on la prenne en photo).
Et puis moi, j’ai aussi envie de les revoir… bientôt je l’espère aussi.
Voilà, la vie c’est ça, on naît, il se passe des choses: on vit et partage des choses, créé des relations… et puis un jour on mourra, laissant sûrement et souvent une petite trace dans la tête et le cœur d’autres…
Photo faites en janvier 2011
Courses du vendredi avec Nils qui était en vacances chez moi. Je les aime beaucoup ces photos, la complicité que l’on peut voir et je trouve qu’ils se ressemblent!
♥♥♥
Des p’tits moments avec mes grand-parents pour participer aux mardis tout doux de Maman@homework.